define('WP_CRON_LOCK_TIMEOUT', 300); La savoir entre l’individuel et le collectif | Ecole expérimentale

Ecrit le 26 Janvier 2009 par admin

Le savoir entre l’individuel et le collectif

En économie, aller du sens vraiment personnel de la question à la vision collective correspond au passage du sens de l’économie de l’effort individuel dans un travail créatif à celui du sens de l’économie des efforts collectifs. La question se pose alors de l’intégration véritable de la personne dans l’organisation collective et de la prise en compte ou non, par les différents systèmes d’analyse, de cette dimension proprement personnelle dans l’économie réelle. A partir de ce jeu de miroir, l’analyse de l’intérêt pour soi et pour le groupe des échanges - tels qu’ils sont et tels qu’ils pourraient devenir - serait à conduire. Sur cette base, une critique des points de vue des différents acteurs sociaux pourrait s’engager.

Pour y parvenir, rien ne vaut la simulation. Celle-ci offre seulement des jeux de représentation des théories économiques mais il est intéressant, pour les acteurs, d’analyser ces théories grâce à la vision interne du système de jeu, cette analyse devant se conduire en partant du sens vraiment personnel. Pour ce qui est des techniques de gestion, la forme coopérative prise par les ateliers offre ce type de simulation. Elle implique des groupes plus nombreux et le budget de l’école. La dimension sociale immédiate y est donc plus présente. Mais, une coopérative d’école n’en reste pas moins artificielle. Il sera donc intéressant que les élèves s’ouvrent, pour leur gestion, à la communauté locale plus vaste pour associer des partenaires réels : entreprises, spécialistes, organisations pour lesquels la connaissance des réalités économiques est une nécessité.

En philosophie, il s’agira de trouver les articulations entre, d’une part, le sens à donner à son existence la plus propre et, d’autre part, le sens de l’intégration de soi aux questions formulées par l’esprit sur le monde et sur l’autre. C’est, par exemple, le passage célèbre du Dasein – ou être-là - à l’être-avec. Pour y parvenir, la conscience du présent semble incontournable. Il se peut que, pour certains, et peut-être pour le plus grand nombre dans l’adolescence, ce présent soit douloureux. C’est justement l’occasion la plus riche pour lui donner un sens et atténuer cette souffrance. En d’autres termes : la question personnelle du vécu dans l’école doit s’intégrer dans celle, tout aussi personnelle, de la destinée.

Dans cette approche, l’analyse de sa biographie et sa représentation littéraire seront la base d’une construction philosophique personnelle. C’est à cette condition que les textes prendront du relief pour soi. Ainsi, les fameuses catégories de Kant deviennent d’un abord aisé quand la logique de leur organisation en système est comprise à partir de leur fondement temporel. C’est exactement ce que voulaient les auteurs classiques du théâtre pour renforcer la compréhension des pièces : l’unité de temps. Ils avaient deviné que l’esprit risquait de s’égarer en séparant excessivement les séquences, en considérant par différents moments de perception disjoints des aspects de quelque objet qui, cependant, s’avère unique.

En français, auxiliaire le plus proche de la philosophie, ce n’est pas tant le présent que le passé biographique vu sous le jour de la sensibilité qui servira de point de départ. Chacun sera censé devenir l’écrivain de sa propre vie. La restitution de sa biographie par une transmission aux autres suppose que les autres s’y reconnaissent et, en conséquence, que la représentation par l’écriture soit adéquate à la tonalité de cette biographie. Sur le plan strictement formel, c’est le passage de la poésie au théâtre, d’une écriture au plus proche du ressenti à une écriture susceptible d’engager des acteurs. Or, le jeu de ces derniers ne sera vraiment bon que si une certaine identification est possible.

Mais, dans un groupe d’élèves dont la composition est due au hasard, il faudra se méfier des tentations pour le psychodrame. Et, justement, le propre de la littérature est d’offrir une distanciation aidant aussi bien à préserver la pudeur qu’à faciliter l’analyse. A cet égard, l’humour, le jeu de mots aident beaucoup. Par prudence, ce serait donc plutôt par ces deux voies que l’élève sera conduit à libérer son écriture et à rechercher une transparence avec lui-même, ses souvenirs, ses sentiments et sensations. De façon générale, tout procédé d’oubli conscient du présent immédiat, toute méthode facilitant le transport dans le rêve éveillé serait à envisager.

Simultanément, la comparaison de ce qui s’écrit sur son propre vécu avec les textes majeurs de la littérature devrait amener à une admiration créatrice vis-à-vis des grands auteurs, à cet oubli, ce transport qui ne seront aucunement un abandon de soi mais, au contraire, une façon de se détacher des contingences immédiates pour mieux méditer sur soi-même. Ce sont là, entre autres, des leçons de Rilke et de Proust sur l’écriture. Pour y parvenir, il faut savoir mettre en scène - soit dans le réel, soit dans l’imaginaire -  la vraie littérature et la vision authentique de sa propre existence. Au contraire, la lecture morne des textes en préfigure la mort.

Dans les langues, la démarche devrait être identique sauf que, en l’occurrence, le déplacement imaginaire est incontournable ; d’où l’intérêt du théâtre. Il faut se croire à l’étranger. Le mieux, évidemment, est le bain linguistique réel dans le pays en question. Il faudra cependant toujours se soucier de placer en avant la communication par le sensible et non pas celle relative aux problèmes d’intendance. Avec l’ami étranger, c’est la sensibilité aux choses qui motive la conversation. La qualité de la relation à l’autre conduit à l’appropriation du langage, non l’inverse.

En histoire, le passage de la question individuelle à celle du collectif y prend le chemin d’une continuelle interrogation sur le processus de hiérarchisation et sur l’utilité sociale de chacun. Ce qui est central réside en la place à occuper dans le groupe immédiat, en l’insertion de son utilité, en la correspondance ou non entre cette utilité et la hiérarchie, en les possibilités de changer cette place ou de remodeler cette hiérarchie.

En d’autres termes, c’est la façon la plus personnelle d’aborder la citoyenneté et les systèmes décrits par les sciences humaines. Pour y parvenir, il faudra se méfier d’un grave leurre : l’institution démocratique ou la gestion coopérative ne gomme pas la question hiérarchique. Croire cela laisse le champ ouvert au pseudo libéralisme couvrant la violence quotidienne des plus forts. La hiérarchie est à percevoir en train de se configurer sans cesse autour des propositions humaines, de la plus insignifiante à la plus fondamentale. A cette condition, elle devient analysable puis, à partir de là et si possible, réductible. L’idéal est de parvenir à une communauté hypothétique d’artistes : tous absolument personnels, tous accomplissant une œuvre universelle, comme l’imagina le mouvement artistique Fluxus.

Les deux obstacles majeurs à la réalisation de cet idéal sont la fascination pour les Grands hommes et la croyance paranoïaque en leur intelligence absolue. D’emblée, il faut conduire à comprendre que toute situation de violence trahit la sottise, la perversion, le mauvais calcul, une hiérarchie dépassée, un abandon préalable des consciences et une absence de régulation commune. Face à ces carences, toute la culture disponible, si l’école est saine, peut aider à consolider les moyens de la citoyenneté : par exemple conduire à savoir saisir le présent et à prendre la parole, à avoir foi en la valeur sacrée de son existence et de son irremplaçable originalité.

En géographie, telle que conçue par Brunet, ce qui valait pour le groupe en histoire, vaut maintenant pour son espace. De façon symétrique, prendre sa place dans un groupe revient à occuper un certain site marqué socialement. Chaque site apparaît alors comme un enjeu avec son système spécifique animé par des lois de saturation ou de dispersion. Mais il faudra prendre garde de ne pas personnifier l’espace, celui-ci n’existant que jalonné par les humains. A cet égard, l’espace géographique idéal tendrait à imiter celui du forum, chacun y demeurant à distance égale vis-à-vis du lieu de parole accessible où siège la double source de l’information et du pouvoir.

Dans les disciplines techniques, la difficulté réside dans le cadre étroit imposé par les machines dont la configuration matérielle oblige à produire des objets standards ou uniformes. Autrement dit, les machines imposent a priori une culture de masse. Ceci est d’autant plus gênant qu’elles sont onéreuses. Devant les machines, l’abdication de l’originalité se tait parce que le coût en fait un luxe anoblissant la mécanique. Le rôle de l’école devra consister à concilier les projets techniques personnels et esthétiques avec les contraintes matérielles. Cela suppose, dans le choix des équipements, une orientation privilégiant plutôt les machines à produire d’autres machines, ou des outils universels, les plus souples d’emploi. Il s’agit de fournir de la puissance pour libérer l’imagination, non l’inverse. Ainsi, l’acquisition des sciences des techniques serait motivée par la possibilité d’une véritable appropriation.

Mais la machine offre aussi une excellente médiation pour la socialisation. Elle répond, en effet, au souci de l’économie de l’effort personnel, de productivité collective et rend l’échange nécessaire. C’est pourquoi il serait intéressant d’insérer les projets techniques dans la communauté grâce à la production de matériels pédagogiques ou artistiques (comme des machineries de mise en scène) et l’adoption de programmes de coopération avec les entreprises locales. Ce serait l’occasion d’une simulation du monde industriel presque grandeur nature, au bord du réel. Simultanément, elle offre aussi l’opportunité d’une réflexion sur l’ergonomie, les systèmes et leur régulation, les servomécanismes en général, le travail en équipe, l’importance et les méthodes de la conception d’origine, etc. Toute la richesse des liens possibles avec les autres disciplines s’aperçoit aisément.

Dans les sciences – mathématiques, physiques, chimie, biologie, géologie -, il est acquis depuis longtemps que la formalisation conduit à l’emploi des concepts de mathématiques et que les sciences de la nature peuvent se réduire aux sciences physiques. Par ailleurs, il faut savoir que ce jeu des sciences est celui d’entités physiques où l’individu se réduit volontairement à l’une de ces entités. Par conséquent, l’entrée personnelle dans ces sciences devra consister à jouer avec les concepts mathématiques reliant ces entités, notamment ceux de la logique des propositions et de l’algèbre de Boole. Le danger réside dans la formalisation altérable d’un langage isolé. Il serait donc intéressant de traiter, dans ces jeux, les concepts mathématiques comme une langue étrangère, c’est-à-dire en faisant en sorte que tout le monde doive s’accorder sur les définitions officielles. Simultanément, le jeu devrait passer sans cesse de la formalisation au système réel qu’elle décrit et inversement.

Dans le cas de l’approche par les systèmes, il faudrait privilégier l’expérimentation personnelle avec les choses. L’échange des points de vue personnels sur ces systèmes devrait permettre d’ajuster collectivement les descriptifs et d’élaborer un langage littéraire de la description équivalant aux termes mathématiques. Finalement, il serait bon, alternativement, que les mathématiques deviennent un langage ordinaire de la conversation sur les entités physiques et que ces entités soient constamment traduites en visions personnelles de systèmes représentables en un langage ad hoc, précision et représentation se renforçant mutuellement.

Pour la biologie, il faudrait insister sur la connaissance des systèmes liés aux comportements fondamentaux. En émanerait en effet, selon Henri Laborit, une éthique corporelle comportementale affirmant de façon implicite le besoin pour l’organisme de vivre davantage dans un climat de sérénité et d’absence d’inhibitions graves plutôt que dans un climat de tension continuelle et de frustration.

Pour les disciplines artistiques, les passages de la personne au groupe et inversement sont beaucoup plus simples à déterminer. En musique, il s’agit de passer du jeu avec les sons, de la composition individuelle, au groupe instrumental, à la chorale (dont la grande vertu est son économie de moyens et la proximité avec la parole) et à l’improvisation ou la composition collectives. En outre, la musique peut devenir fondatrice de groupes. De la même façon, l’utilité sociale est à chercher à travers la représentation. Dans les arts plastiques, l’œuvre s’étend de la création solitaire à la scénographie des expositions.

Dans le domaine corporel, il en va de même : il est possible de passer de l’expression de soi-même à l’expression collective ou au sport d’équipe qui apportent également cet avantage de fonder le groupe.

Pour ouvrir au maximum l’école aux possibilités de représentation, lui conférer une utilité plus étendue, lui apporter les compétences les plus diverses, la faire participer le plus largement aux échanges, il faudrait qu’elle coopère le plus étroitement possible avec les écoles d’art et les artistes disponibles.

La notion de système

Il a été beaucoup question, dans ces pages, de systèmes. Le moment est maintenant venu d’en préciser les contours, de rendre explicite ce qui risquerait de rester seulement implicite. Cependant, cette démarche était volontaire, car il vaut mieux illustrer d’abord cette notion à partir de l’expérience familière du jeu pour mieux ensuite comprendre ce qu’est, dans l’abstrait, sa formalisation. Le constat de l’existence d’un système propre à un domaine de connaissance, quel qu’il soit, repose sur celui d’un fonctionnement où sont observables une dizaine de lois. Ce descriptif est emprunté aux travaux de Piaget.

La première, dite loi de composition interne, permet de deviner qu’il existe un ensemble organisateur des éléments, ces éléments se présentant alors comme les pièces du système. Dans un moteur, par exemple, ce sont les pièces mécaniques. Sachant cela, il faut comprendre que toute démarche intellectuelle purement cumulative, par exemple l’association au hasard des éléments, ne permet jamais d’aboutir à la compréhension du fonctionnement global.

La deuxième énonce que le système à percevoir est distinct des éléments tout comme, dans le groupe mathématique, l’opération d’addition est distincte des nombres sur lesquels elle agit ou, dans le moteur, le mouvement global est distinct de la place et des mouvements particuliers des pièces mécaniques.

La troisième loi exige de constater que les transformations du système ne dénaturent pas sa structure. Un système est à la fois immuable de sa genèse à sa dissipation et changeant dans le détail de son organisation. C’est bien évidemment le cas du moteur dont les mouvements globaux ne doivent pas altérer sa structure de moteur. Car, sinon, il tombe en panne.

La quatrième loi veut que la source de la transformation soit bien interne au système et ne doive rien à une intervention extérieure. Le moteur fonctionne effectivement sui generis. C’est justement sa vocation en tant que moteur. Cette loi, les professeurs de français la reconnaissent bien quand elle manque: le défaut d’écriture auquel ils sont souvent confrontés est le récit d’une aventure généralement linéaire, en simple addition des péripéties, et que l’élève clôt par une intervention inopinée ne devant rien à l’aventure elle-même.

La cinquième loi met en valeur l’existence de certaines régulations. Le moteur en possède qui sont internes, par exemple le jeu de soupapes, et d’autres qui sont externes comme les circuits de refroidissement.

La sixième loi incite à prendre en compte l’existence d’une généalogie des systèmes. Dans notre exemple, c’est l’existence préalable d’un conducteur, de concepteurs, d’un contexte pour l’usage du moteur, etc.

La septième loi invite à vérifier si la réversibilité est possible. Par ce terme, il faut comprendre, dans notre exemple, le passage d’un état de mouvement à celui d’arrêt et réciproquement ou qu’un démontage et un remontage produisent les mêmes effets, c’est-à-dire la disparition ou la réapparition du système comme moteur susceptible de fonctionner.

La huitième loi doit se percevoir dans la capacité inchangée d’obtenir le même système en agissant sur ses éléments. En l’occurrence, la modification des pièces mécaniques ou leur changement est censée permettre une variation quelconque des performances du moteur sans dénaturer la destination de celui-ci comme fonction spécifique.

La neuvième loi est en relation avec ce qui précède : modifications et changements ne doivent pas altérer des invariants, ces invariants qui font en sorte que le moteur reste tel.

La dixième loi conduit à observer des sous-systèmes dans le système ou bien, en d’autres termes, un ordre topologique. Il se perçoit aisément que cette loi détermine des frontières, qu’un système peut devenir un sous-système si l’esprit envisage ce qui est englobant ou englobé.

Une fois ces lois présentées, c’est le métier de chaque enseignant de les retrouver dans sa spécialité ou dans sa culture afin de pouvoir les restituer auprès des élèves. Leur formalisation paraît de prime abord abstraite mais l’expérience de leur réinvestissement montre rapidement qu’elles se révèlent partout avec force d’évidence. Il est alors facile de trouver un jeu pour illustrer les systèmes découverts, notamment avec la cinquième, la septième et la huitième loi. Cependant, peuvent apparaître des corpus de connaissances qui sont très difficiles à intégrer dans un système quelconque, précisément quand le nombre de conventions augmente, par exemple dans l’assimilation des langues. Mais ce n’est que la mise en place des systèmes de la langue qui, en ce cas, révèle précisément les conventions comme telles. Il faudra admettre alors tout l’intérêt de la réitération. Celle-ci, insérée dans un jeu comme le théâtre, se met à appartenir à un autre système qui est celui du groupe, système où les conventions occupent une place fonctionnelle dans l’échange ou la communication. Ce jeu, simulant le dialogue réel, justifie et offre cet entraînement qui est propre aux enfants se développant dans leur langue maternelle.

Jean-Pierre Labrousse

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