Il m’a été demandé parfois de revoir des écrits, autrement dit d’effectuer le travail d’un correcteur d’édition. Ma première réaction, formulée seulement de façon intérieure, fut le plus souvent d’opposer une certaine réticence. Car il existe tant de grands textes à lire pour lesquels toute une vie ne suffit pas et, malheureusement, encore de plus nombreux livres se publient qui ne durent dans les esprits pas plus d’une saison. Mais, certains textes simples laissent rapidement percevoir que, par leur intention première, ils s’inscrivent bien dans la littérature telle qu’elle doit perdurer. A la lecture, ils répondent en effet de façon la plus magistrale à ces quelques critères où le bon écrivain se reconnaît.
C’est, par exemple, le recueil d’un témoignage sur sa propre existence évaluée sans le moindre fard. Même davantage que dans la grande littérature, le propos met radicalement à nu son auteur lorsque ce dernier transparaît, en une somme éclatée, à travers le masque de multiples personnages.
C’est l’analyse d’un drame qui est le combat intime entre une conscience exigeant de rester libre et un corps qui lui résiste en manifestant sa souffrance. Le texte pourrait verser dans la lamentation mais la distanciation produit un ensemble de scènes où le lecteur se retrouve comme devant une tragédie classique.
Le thème central est généralement d’une étonnante simplicité. Il apparaît donc surprenant qu’il soit si peu abordé dans le monde littéraire et, par conséquent, il y trouve sa place par son caractère existentiel et par son originalité. Un style personnel en découle où, par endroit, l’abondance des phrases sans verbe dénonce spontanément la fatalité.
Le lecteur ne se sent jamais accablé. L’écrivain ne s’est pas seulement installé dans la nécessaire distance face à son vécu, mais il y décrit encore les quêtes successives d’une renaissance. Ainsi, ne renonçant jamais à rester libre, il porte le lecteur lui-même sur le chemin de sa propre liberté.
Tel que traité, le thème reste familier. Chacun pourra transposer à sa façon cette maladie spécifique qui enchaîne le corps et, avec lui, la conscience qu’il porte. Car tout le monde a bien dépassé une fois la frontière où le physique défaille jusqu’à rétrécir à l’excès et dégrader l’image idéale.
L’issue du récit, si celui-ci est sincère, n’offre pas de méthode magique. Au final, il y a bien une victoire mais avec composition et bilan amer où figure à la première place l’espérance pour soi et pour l’autre. L’histoire n’est plus étroitement humaine ; elle est absolument généreuse.
Jean-Pierre Labrousse
(Texte écrit pour le livre de Jean-Michel Hédreux, Recto la vie, c’est nickel crohn, éd. MICI, 2008.)
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