Une école coopérative dans une institution démocratique
La question paraît de savoir, à nous lire, quelle institution nous voudrions et nos options politiques nous conduisent à y imaginer davantage de démocratie.
Pour répondre à cette question, il faut, à mon avis, d’abord se débarrasser de cette croyance selon lequel l’État est une garantie du respect de la volonté populaire et de son unité. L’État, en tant que création historique, n’est jamais que l’instrument de l’ordre. Et, au mieux, comme dans la Déclaration des Droits de l’homme le stipule, il est cette force publique qui garantit le respect de ces Droits. Mais, comme instrument central, il demeure potentiellement toujours dangereux, car n’importe quelle caste peut s’en saisir et l’utiliser à des fins intéressées. Croire que des coopératives locales représentent une menace pour l’unité nationale me paraît donc relever d’un incroyable aveuglement : face à un État confisqué, je crois, bien au contraire, que ces coopératives pourraient lui opposer un contre-poids salutaire, obligeant son aristocratie à composer avec l’ensemble de la Nation. A l’encontre, il est évident que ce n’est pas le cas dans la fonction publique bureaucratique : là, l’État actuel exerce son pouvoir face à un vide ; il y règne en monarque absolu ; en un trait de plume, il peut nuire à tous ses agents et à tous les usagers ; en France même, il ne respecte même pas les contraintes du droit du travail qui limite certains abus dans la sphère du privé et qu’il est censé réduire ; il trahit ainsi son absence de sens moral.
Par ailleurs, multiplier des écoles coopératives ne signifie pas qu’un morcellement du réseau éducatif s’en suivrait. Bien au contraire. Pour parler grand, l’expérience de la coopération et de la liberté se révèle toujours une et indivisible. Pour ma part, je me sentirais toujours honteux, vivant dans une école coopérative et autogérée, de subir encore les décisions d’instances officielles centrales aux compétences douteuses et aux desseins suspects. Car il faut savoir aussi que le phénomène bureaucratique produit toujours de ces instances-là : elle promeut forcément ceux qui n’aiment pas vraiment leur vrai métier et qui, ratés sur le plan professionnel et intellectuel, sont avides de prébendes, de revanche sur la saine communauté et, a fortiori, de pouvoir et d’argent. Ce qui est étrange est que cette analyse-là est aussi vieille que l’Antiquité ou que les mandarins chinois. Comment un pays éclairé comme le nôtre peut-il encore croire en l’efficacité de services publics gérés de cette façon?
Alors, comment obtenir que le point de vue personnel de chacun puisse avoir un écho sur le plan national? Une réponse toute simple à cette question existe depuis longtemps et elle a été expérimentée par la démocratie : c’est par la voie des délégations élues. Dans notre institution, il nous faut donc tout simplement des instances de décisions élues avec pouvoir d’harmoniser l’ensemble de l’école ou, autrement dit, de préserver son unité républicaine, de proposer des programmes uniques de promotions des oeuvres, des personnes et du savoir. Ainsi, en généralisant ce principe, la démocratie prendrait sa dimension gestionnaire et technique au lieu de se cantonner à la sphère du spectacle politique. Pour moi, c’est cela la seule vraie révolution : approfondir l’expérience démocratique en l’élargissant à l’ensemble de la vie sociale, de l’école à l’entreprise.
Le seul danger auquel un tel dispositif s’expose est sa tendance naturelle à se retrancher de la Nation, au sens politique du terme, à l’exemple de l’ordre des architectes ou des médecins. Mais des dispositifs très simples sont imaginables pour éviter ce type de dérive : ils portent le nom de régulation. Concrètement, cela signifie que notre assemblée élue la plus haute - celle chargée d’harmoniser l’école pour tout le territoire national, devra coopérer avec les élus du peuple et les usagers et leur rendre des comptes. Il nous faudra aussi des instances disciplinaires élues et des possibilités de recours de tous auprès de ces instances ou des tribunaux ordinaires. En d’autres termes, la loi encadrant le système éducatif, adoptées par tous les acteurs du système, devra être appliquée rigoureusement par nous, exactement comme n’importe quelle loi.
Certains, encore sans doute influencés par un économisme caractéristique d’une vieille gauche française, pensent que cette révolution démocratique ne peut commencer que par l’entreprise. Il me semble que c’est un leurre. Je suis persuadé que les seuls véritables créateurs de richesses sont d’abord les parents et puis nous, les enseignants. Nous sommes la véritable base de toute économie moderne aujourd’hui presque complètement investie par une haute technicité à laquelle nous avons formé chaque génération. C’est donc à nous, selon mon point de vue, de montrer la voie parce que nous sommes à la source vitale de tout savoir. C’est d’ailleurs cet aspect qui, notamment, me motive dans cette campagne pour l’Appel : la crainte qu’avec une éducation ainsi étouffée et malmenée, la pensée française aussi bien littéraire que scientifique ne s’efface, que nous ne soyons plus un jour, pour le monde, qu’un souvenir ce, à l’image de la Grèce antique : un phénomène culturel rayonnant toujours mais irrémédiablement mort.
L’Appel national en faveur des établissements innovants coopératifs est la première étape dans la marche vers cette démocratisation de notre enseignement. Il ne faut, selon moi, surtout pas l’oublier et s’atteler à le faire signer avec ce souci : inviter chaque signataire à rejoindre nos organisations pour coopérer à nos travaux, nous enrichir de leur présence et obtenir la venue de l’institution éducative dont nous rêvons, la seule possible.
Le 26/05/03
Jean-Pierre Labrousse
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