define('WP_CRON_LOCK_TIMEOUT', 300); De la démocratie en général | Ecole expérimentale

Ecrit le 17 Janvier 2009 par J.-P. Labrousse

De la démocratie en général

En un mot, pour alimenter une concertation possible à ce sujet :

- ce qu’on nous demande est d’imaginer une institution démocratique, soit en double de celle d’aujourd’hui, soit globale à la place de l’institution actuelle. C’est urgent parce que un très grand nombre de militants sait ou devine que le conflit en cours : décentralisation ou pas esquive le vrai débat qui serait, plutôt, celui d’une démocratisation ou pas du service public.

- l’Etat : vouloir une société sans Etat, c’est pour moi s’exposer à la pire des catastrophes. Il a été, judicieusement à mon avis, écrit dans la Déclaration des Droits de l’Homme, qu’une force publique est nécessaire pour garantir l’application de ces Droits. Sinon, c’est la loi du plus fort, c’est le Western, l’Irak après la démolition de son Etat, c’est la béance sur une aire de non droit qui a ouvert le chemin, dans l’Histoire, au totalitarisme. En l’occurrence, il ne faut pas croire que celui-ci est une aventure imposée par les méchants aux gentils : ces derniers se sont obligeamment laissés conduire car, pour eux, tout ordre officiel est préférable à l’arbitraire de l’éventuel ; ils savent avoir moins à craindre au quotidien de la violence d’un Etat identifiable que de celle de bandes spontanément organisées. Certes, ils se trompent à long terme mais, dans l’immédiat, ils auront survécu.

- Dans cet article de la Déclaration, il ne faut pas oublier le mot “public” : il faut une force, certes, mais contrôlée par le peuple. Par ailleurs, ceux de 1789 l’ont expressément signalé et cela est repris dans celle de 1948. C’est, je crois, le travail militant à accomplir en notre siècle consistant à placer effectivement l’Etat sous contrôle démocratique ; c’est d’obtenir que le maintien par la loi de l’organisation sociale soit au service de cette organisation et voulue par elle et non pas confisquée par des privilégiés qui le détourne à son profit.

- Soyons logique : sur le plan simplement existentiel, qu’est-ce que éduquer veut dire si ce n’est amener sans cesse à davantage de perfection? La signification éthique de l’existence même d’une éducation repose donc, c’est une évidence pour moi, sur le constat d’une imperfection préalable. Je ne vois pas coexister perfection, même de façon hypothétique, et éducation. A contrario, c’est antinomique. Un exemple extrême : santé et médecine, car si tout le monde disposait de la santé et de la jeunesse éternelle nous ne voyons pas pourquoi des soins seraient nécessaires. Autrement dit, je n’imagine pas une éducation sans la Loi car celle-ci corrige en attendant que l’éducation convainque. Et l’éducation ne convaincra jamais si la Loi publique est absente c’est-à-dire dans un contexte où règnerait alors inéluctablement la terreur du plus fort. Théoriquement, tous les enseignants perçoivent cela de façon plus ou moins explicite : un minimum d’ordre dans le groupe est nécessaire pour que le savoir, y compris le savoir-vivre, soit entendu. D’ailleurs, en elle-même, la coopération est une loi et suppose très précisément ce minimum d’ordre préalable - qui organise - pour que cette loi soit, en sa réalisation, comprise comme bonne aux intérêts de tous et de chacun.

- Mais, beaucoup plus simplement, dans ce qui est attendu de nous, nous n’avons pas à proposer une éducation parfaite dans une société tendant à devenir, je ne sais par quel mystère, également parfaite. Il s’agit seulement d’imaginer une institution éducative démocratique dans la société française telle qu’elle est. Or, il y a violence, pas seulement dans la société mais aussi dans l’éducation telle qu’héritée. Alors si, par maladresse, nous réalisions le projet de bâtir une Institution en dehors de la République, qui n’aurait à rendre de compte à personne et qui échapperait à la loi ordinaire, ce serait la prétention non seulement de recréer un Ordre séparé de la Nation, comme celui du clergé jusqu’à la Révolution de 1789, mais ce serait aussi naïvement ignorer la violence qui surgira inéluctablement, et encore pire que dans l’Institution actuelle, au sein même de cet Ordre. En d’autres termes : un crime est un crime où que l’on soit et qu’il y ait démocratie ou pas. Je ne vois pas pourquoi les enseignants, surtout issus du système actuel, échapperaient à cette éventualité ; ils sont tous perfectibles et donc, malheureusement, toujours éducables, eux aussi, et à surveiller. Conclusion : il nous faut prévoir un système de régulation, de recours, d’arbitrage, de conciliation et même aussi, il faut l’admettre d’emblée à moins de verser dans l’angélisme, de sanction.
- Un autre aspect sous-jacent à cette question me paraît indispensable à signaler : l’imperfection peut aussi se qualifier d’irrationalité. L’humain me paraît toujours contenir une part d’irrationnel, part à réduire grâce à l’éducation, justement, et à travers l’aventure historique. Ce constat d’une irrationalité ne me gêne aucunement : il serait vain de vouloir un humain parfaitement rationnel et encore plus de le croire tel déjà, car ce serait à la fois nier l’Histoire réelle avec toutes ses horreurs et accomplir ce rêve éveillé que l’Histoire s’arrête là, dans une soudaine apocalypse en rose. Non : il faut précisément prendre en charge, en la regardant en face, cette irrationalité pour précisément avancer dans cette aventure historique présente afin de limiter et si possible, d’éradiquer ses horreurs. Notre devoir historique serait donc de se rendre plus raisonnable, si je puis dire. C’est aussi la fonction de l’éducation. Mais c’est ce qui rend la démocratie incontournable : elle repose sur ce sentiment, né à travers toutes les errances de l’Histoire, que personne ne dispose de la raison absolue et que, par conséquent, une situation quelconque vaut toujours la peine de discuter ensemble et que, si l’on se donne cette peine, un peu plus de vérités a quelque chance d’en sortir. Vue ainsi, la démocratie n’est donc pas une perfection en soi (ce qui semble se dégager de vos propositions) mais uniquement l’instrument inaugural de la recherche d’une perfection. Il va s’en dire que nous sommes encore loin du compte et qu’un minimum de réalisme est nécessaire : établissons la démocratie, certes, et de toute urgence mais n’allons pas croire que, en elle-même, elle va créer le miracle de rendre instantanément tout le monde parfaitement rationnel. D’où la nécessité de l’accompagner de mécanismes d’arbitrage et aussi, à mon grand regret, de sanctions ne serait-ce que pour défendre la démocratie elle-même c’est-à-dire pour maintenir vivante son organisation.

- Election, directeur et représentation : voici des termes qui ne prennent leur sens exact qu’à condition d’appréhender tout ce qui est écrit à leur sujet dans le contexte. Pour écrire vite, passons immédiatement à la théorie qui traite ce type de question, c’est-à-dire à celle de l’information. Selon celle-ci, mais tout le monde a pu expérimenter cela simplement, tout groupe a besoin d’un président de séance dont le but est de rendre la circulation de l’information claire et fluide. Dans ce cas, que les individus soient parfaitement rationnels ou pas n’a aucune incidence, car il s’agit d’un problème avec le temps : si tout le monde parle en même temps, plus moyen de s’entendre (joli mot qui prend ainsi deux sens). Pour éviter ce problème, les présidents de séance prennent ainsi la même fonction que celle d’une horloge et d’un processeur d’ordinateur : ils distribuent, répartissent le temps de parole qui sont toujours autant de commandes et maintiennent la cohésion d’ensemble pour aboutir à une décision. Pas de salut pour un groupe sans ce président de séance. Pire, toute illusion qu’il est possible de fonctionner sans lui aboutit à ce que nous avions déjà évoqué, c’est-à-dire la confiscation du pouvoir de parole - et par conséquent du pouvoir proprement dit - par les plus forts, ceux qui parlent haut et qui sont dénués de ce scrupule d’entendre chacun. Rien de plus tragique pour moi que cette soi-disant démocratie directe spontanée qui conduit en réalité à toutes les manipulations. Mais le président de séance, malgré son titre, n’est pas pour autant quelqu’un qui dispose du pouvoir de décision. En tout cas, le groupe peut se débrouiller pour qu’il en soit ainsi en limitant son rôle, comme président, à cette fonction purement technique de rendre la circulation de l’information parfaitement claire et fluide. Simultanément, quand le groupe s’adresse au monde extérieur, il a besoin d’un porte-parole ; quand le monde extérieur s’adresse à lui, ce monde a besoin d’un messager. Là encore, une personne doit faire office de porte-parole et de messager sauf à vouloir que tout le monde s’adresse constamment à tout le monde ce qui, pour le moins, est étrange car illimité et forcément incohérent au regard de la transmission de l’information. C’est bien pourquoi il faut élire un “directeur” mais si vous lisez bien le texte, ce directeur ne décide pas plus que le groupe et ne possède aucune fonction spécifique autre que celle d’un président de séance, d’un porte parole ou d’un messager.

- La question peut cependant se poser de choisir plutôt le mot “directeur” que celui de “président de séance”. La réponse est d’ordre juridique. Dans le droit, n’existe pas de responsabilité collective. Si une faute est commise dans l’école, la justice ne peut en faire porter la responsabilité que sur quelqu’un en particulier. Elle ne peut d’ailleurs pas faire autrement, car les limites de la responsabilité collective sont toujours floues et l’extension du groupe l’est également. Dans ce contexte, elle se heurte aussi, comme nous tous, à ce souci de statuer sur la base d’une information claire. Autrement dit, dans ce texte qu’il faut lire jusqu’au bout, le terme de “directeur” signifie seulement qu’il est un président de séance, représentant de l’équipe auprès du reste de la société y compris en cas de litige. Cependant, il peut être inscrit, dans le cadre du règlement intérieur que tout le monde est coresponsable et que le directeur change toutes les semaines ou tous les jours. Cela ne change en rien la nécessité de son existence.

- autres questions, en vrac :
Ne pas élire, ne pas déléguer mais participation directe : c’est une absurdité quand on dépasse un certain nombre. Nous sommes plus d’un million de personnes dans le système éducatif, sans compter les parents!
Saine communauté : quand une personne choisit un travail, je dois supposer qu’elle y tient et qu’elle vit sereinement dans son travail au sein de son équipe, avec ses collègues, dans sa communauté fondant son utilité pour la société. Voici très simplement ce que je trouve sain. Ce qui ne l’est plus est quand cette personne cherche à acquérir des fonctions bureaucratique de commandement sur ces mêmes collègues à partir du moment où son travail ne lui plaît plus, où elle se trouve en difficulté dans cette communauté. Se produit une fuite par le haut et la promotion des médiocres à la fois sur le plan technique et moral (je précise que cela n’a rien avoir avec le principe de Peters). C’est chose courante dans toutes les bureaucraties du monde ce, de l’Antiquité à nos jours. Sur cette base, la bureaucratie se nourrit elle-même car elle impose d’en haut son commandement. Elle interdit ainsi – le plus souvent sans le savoir - toute possibilité de concertation et de coopération réelles à l’échelon fondamental où le travail effectif et sain s’accomplit. A cet échelon, certains, complètement isolés de leurs collègues et subjugués par la hiérarchie dérivent dans leur travail et sont portés à rechercher, à leur tour, une issue vers le haut, etc. Simultanément, l’information qui circule seulement de haut en bas arrive à la base avec une grande déperdition quant à ses objectifs avoués, car ceux qui commandent n’ont jamais bien su leur métier et, d’un échelon à l’autre, se produit forcément une déperdition. L’aboutissement logique de la bureaucratie est la militarisation selon la croyance qu’en faisant peur l’information sera très précisément transmise et l’ordre qu’elle porte exactement suivi. Or, dans ce cas, c’est exactement le contraire qui se produit, etc. C’est, pour moi, toute l’histoire du stalinisme.
L’entreprise : jamais je ne remettrai en cause le droit d’entreprendre et l’entreprise en tant que telle. C’est une liberté fondamentale. C’est étrange pour moi, que l’on puisse déduire cela de mes textes. Ce que je veux est que l’entreprise devienne, dans ses statuts, démocratique et qu’il y ait une coopération dans la gestion et dans l’organisation du marché aussi bien national que mondial. Ce que je ne veux plus est que les chefs d’entreprise puissent se conduire comme des seigneurs féodaux avec leurs employés et partir dans je ne sais quelle bataille ou croisade économique en y engageant leur existence. Là encore, il y faut de la régulation qui ne sera jamais obtenue tant que la fonction politique ne se sera pas émancipée de leur pouvoir et, par conséquent, tant que les peuples n’auront pas trouvé les moyens de démocratiser effectivement les Etats.

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