define('WP_CRON_LOCK_TIMEOUT', 300); Sur la laïcité | Ecole expérimentale

Ecrit le 17 Janvier 2009 par J.-P. Labrousse

Sur la laïcité

Suite aux nombreux messages rédigés sur cette question, je voudrais faire part de cet essai de clarification.

La laïcité concerne avant tout le statut accordé à la religion par la Nation. Dans le contexte de sa mise en place - avec les lois Ferry de 1881 1882 sur l’école, la loi de Waldeck-Rousseau de 1901 sur les associations et la loi Aristide Briand de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat - l’objectif des Républicains ne fut pas de déchristianiser la Nation mais de réduire l’emprise des congrégations religieuses sur la vie sociale en général et sur l’éducation en particulier. Il s’agissait, pour eux, d’éliminer un bastion des ultraconservateurs qui prenait un caractère raciste et antisémite au tournant du siècle avec son engagement, notamment, dans l’antidreyfusisme. Autrement dit, la question religieuse a été traitée avant tout sous son jour politique. Je ne vois aucunement pourquoi il faudrait alors en arriver à une attaque globale de l’ensemble de la pensée religieuse sous prétexte de laïcité et - d’autres l’ont écrit sur le site - il y aurait le risque d’en arriver à un dogmatisme en apparence contraire dont les deux exemples tragiques furent le communisme et le nazisme.

La religion, c’est d’abord, dans son expression la plus simple tirée de l’étymologie du terme, se sentir “relié” aux autres, au monde, à la nature. Ce sentiment vaut mieux, parce qu’il reconduit spontanément à l’ouverture, que bien des discours rationnels à caractère moralisateur.

Elle est aussi, évidemment, une réponse à la question angoissante relative au temps de l’Univers : son origine, sa fin et le sens de toute destinée. Au coeur de cette question se retrouve celle de l’être et de la mort. Je ne vois aucunement de quelle façon la laïcité, dans ses textes législatifs, serait à même de répondre à ces préoccupations lancinantes majeures. S’en tenir à ses textes pour refuser toute croyance religieuse serait réduire l’humain. Et, précisément, ce fut le but du communisme et du nazisme d’aboutir à la réduction de la personne humaine. En outre, cette question me semble devoir rester exclusivement intime, car aucun savoir ne permet de l’éclairer. Il s’en déduit qu’elle ne regarde aucunement l’école où l’on dispense le savoir acquis. Tout juste peut-on dire que le savoir doive ouvrir sur la question car, finalement, la réponse de chacun sera plutôt fondée sur un acte de foi et ne se commande ni de la chaire de l’Eglise ni de celle de l’Université. Par contre, elle me paraît devoir regarder les parents qui seront portés à partager cette foi avec leurs enfants. C’est pour cette raison que, dans le modèle d’école que nous préconisons, le forum est prévu. Nous le voyons à la charge des parents telles que ces questions puissent librement venir au jour et que les réponses s’y côtoient dans toutes leurs différences à condition, bien entendu, qu’elles restent dans le cadre strict de la loi. En ce sens - par ce forum - l’école permet l’intégration en créant l’ouverture sur les opinions mutuelles. Par comparaison, sur ce point, l’école laïque actuelle n’est que fermeture.

Mais la religion est aussi la recherche d’un fondement à la morale. Je suis persuadé qu’il s’agit là d’une réponse première à cette question historique déterminante : qui, dans un conflit, pour en finir, est censé apporter son arbitrage? Généralement, ceux qui sont persuadés que la réponse est simple, croient en une rationalité humaine absolue faute, sans doute, de percevoir à quel point un conflit contient d’opacité, d’inconscient ou de non-dits. Evidemment, il est plus aisé d’y voir le résultat d’intérêts antagoniques. En réalité, même si un intérêt quelconque est tangible, il sera toujours soupçonné que l’arbitre est lui-même intéressé, qu’il est juge et, à la fois, partie. La religion s’offre alors comme solution en posant ce principe que la source de la loi vient de dieu, qu’elle est au-dessus du genre humain et que l’arbitre suprême ne peut être que dieu. Ainsi la Loi n’est plus relative à un quelconque individu, susceptible de s’avérer douteux, mais transcendante. En d’autres termes le religieux la fonde. C’est pratique, car cela permet d’en finir avec le désordre et de retrouver la paix sociale. Or, l’ordre est toujours privilégié à la guerre civile. Chacun pourra rétorquer : c’est vraiment trop facile! Et bien justement non. L’Histoire, c’est-à-dire nos pères, nous a bien légué des textes fondamentaux justifiés - si je puis dire - par l’expérience du sang et de la vie commune, cette “asociale sociabilité” évoquée par Kant. Il s’agit principalement des Droits de l’Homme de 1789 enrichis par la Déclaration universelle de 1948. Mais il est à remarquer que, d’une part, ces textes dépassent très largement le cadre fixé par les lois sur la laïcité puisque, dans l’aticle 10 du premier, il est bien énoncé que ”personne ne sera inquiété pour ses opinions mêmes religieuses”. D’autre part, ces textes n’abordent jamais directement la question de l’autre, de son statut par rapport à soi ; ils énumèrent, comme la plupart des textes juridiques d’ailleurs, y compris de source religieuse, une  suite d’interdits ou d’obligations à caractère social, du genre : “tu ne tueras point”, etc. N’y figurent aucunement des reprises positives, littéraires ou laïques, de cette sentence tout à fait personnelle et centrale dans toute éthique telle que : “tu aimeras ton prochain comme toi-même”. Autrement dit, aucune philosophie non religieuse n’est parvenue à fonder, jusqu’à ce jour, une véritable morale et encore moins celle des relations interpersonnelles. C’est pourquoi s’en tenir à un athéisme militant exclusif devrait apparaître dangereux. Il faudrait, au préalable, trouver une justification laïque à la morale pour être crédible. Et, précisément, le nazisme et le communisme étaient anti religieux parce qu’ils ne se voulaient pas éthiques mais fondés sur la pratique politique immédiate où, notamment, la violence était saisie comme moyen et comme valeur.

Dans notre école idéale, la coopération est en elle-même une morale mais qui résulte de la nécessité, du constat que, dans le domaine du savoir, l’acquisition mutuelle est plus efficace et plus stimulante que l’assimilation simultanée, par groupes homogènes enrégimentés. En ce sens, l’école publique actuelle est, bien que “laïque”, plutôt immorale. Ce n’est pas un vague texte de loi supplémentaire sur la laïcité qui va lui retirer un tant soit peu cette immoralité. Il faut cependant rester vigilant et averti sur cette question de la coopération : à ne pas y prendre garde, le discours, si ce ne sont les actes, retrouvent sans le vouloir l’idéologie scolaire nazie ou communiste qui, sur ce point, se ressemblent car la coopération s’y pratiquait comme dispositif anéantissant toute individualité. Dans l’école idéale, la coopération est la première valeur à condition d’y aboutir à l’épanouissement intégral de l’humain dans sa personne à la fois esthétique et scientifique. Le but doit y rester de créer des apprentis artistes et des apprentis chercheurs aptes, pour le moins, à communiquer constructivement avec l’autre si ce n’est vivre sereinement avec lui.

Pour l’instant, nous avons esquissé une conception positive plutôt hugolienne de la religion. Et avec Victor Hugo, nous pouvons aussi maintenant affirmer que la religion pratiquée historiquement est une perversion de l’idée de dieu. C’est le cas, avec cette histoire de voile islamique. Nous ne voyons aucunement en quoi ce voile serait signe d’un choix authentiquement religieux. Comme tous les signes. La question avait déjà été débattue, dans l’aire chrétienne, au XVIème siècle avec, d’un côté, un Jules II qui proposait le salut par les oeuvres en vendant des reliques valant des jours de paradis et, de l’autre, un Luther qui, scandalisé, voulait s’en tenir à la seule justification par la foi.

Mais comment instruire de tout cela si les élèves qui s’affichent avec ce voile sont exclues de l’école? Comment en arriver à ces questions et à l’ouverture mutuelle? Or, ce qui est justement intéressant, dans les signes, c’est qu’ils peuvent manifester un symptôme. Dans ce cas, celui-ci révèle deux difficultés existentielles : l’une, bénigne à première vue, serait une manifestation obscurantiste du religieux perçu comme magique ; l’autre, beaucoup plus grave, trahit une sujétion et donc une violence. Interdire ce signe, c’est refuser d’affronter ces deux difficultés. Ainsi, l’école laïque actuelle - qui en elle-même n’est pas morale - refuse de prendre en compte ces deux difficultés-là. Malade à l’intérieur, elle refuse de s’inquiéter de ce qui peut se produire dans des familles où la violence règne, notamment à l’encontre des femmes. Au moins, les socialistes ont eu raison d’ajouter un amendement pour qu’il y ait dialogue avant toute exclusion. Mais dialogue avec qui et sur quelle base de discussion? Faute de forum, l’école actuelle s’occupe de ce qui ne la regarde pas, se met hors de la République en interdisant un signe qui ne la concerne pas, mêle un pseudo savoir à des questions qui la dépassent démesurément et s’aveugle devant la détresse de certaines élèves.

Dans notre école idéale, un dispositif institutionnel est prévu pour cette ouverture sur les familles, pour fédérer, échanger et intégrer de façon, entre autres, qu’il n’y ait pas cet enfermement familial propice à tous les abus, à toutes les dérives psychologiques et, aujourd’hui, communautaristes.

Alors fallait-il une loi? Pour une bureaucratie à la pensée rudimentaire et enrégimentée, cette loi est commode. Incapable de s’ouvrir aux vraies questions existentielles, fermée à toute velléité d’intégration, paralysée devant la moindre différence - y compris, c’est un comble, devant les langues locales - elle a besoin d’un règlement de police. Politiquement, c’est également commode : il vaut mieux polémiquer sur des colifichets que sur la difficile intégration et l’isolement familial, s’attaquer aux victimes qui portent le voile qu’aux tutelles malsaines qui les obligent à le porter. Ce qu’il a de terrible, avec cette inertie bureaucratique, c’est que, finalement, il vaut mieux qu’elle adopte une loi plutôt que de la voir ne rien faire. Puisqu’elle ne peut s’en tenir qu’aux signes, cette loi survient - tout en étant inefficace et non constitutionnelle - au moins comme signe de désaveu de ces tutelles-là. C’est d’ailleurs ainsi que le voyaient les féministes du Maghreb.

Mais, avec cette loi, les vrais démocrates ne s’y tromperont pas. A l’exemple de nombreux commentaires issus de l’étranger, ce règlement de police sera davantage perçu comme le masque d’une incapacité à intégrer que comme une atteinte à la liberté d’expression.

Pour en finir, il nous semblera urgent et incontournable de construire l’école de demain, le seul premier véritable foyer pour l’intégration et l’ouverture sur le monde et sur l’autre avec toutes ses questions sans exclusives. L’Appel en faveur des établissements innovants coopératifs en est le préalable. Mais qui, vraiment, en admet l’urgence et l’importance?

Jean-Pierre Labrousse

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