define('WP_CRON_LOCK_TIMEOUT', 300); Sur les secteurs et la carte scolaire | Ecole expérimentale

Ecrit le 17 Janvier 2009 par J.-P. Labrousse

Sur les secteurs et la carte scolaire

Voici, à mon avis, l’ensemble des arguments dont il faut tenir compte pour traiter la question des secteurs scolaires.

1) Critique de la situation actuelle

Les contournements des secteurs

Les secteurs restent toujours une garantie solide contre l’ultra libéralisme qui autoriserait, en les supprimant, la création d’établissements pour élites et d’établissements dépotoirs. N’oublions jamais que le danger de cette suppression est réel, car cette option est partagée par un certain nombre de membres du gouvernement. Et, à mon avis, la décentralisation pourrait servir de couverture à une tentative ultra libérale de ce type.

Mais, même si les secteurs limitent considérablement la possibilité d’établir une ségrégation de classes, ils n’en sont aucunement l’éradication. Ce, pour quatre raisons bien connues : les secteurs de centre ville drainent davantage dans les milieux favorisés tandis que ceux de banlieue recrutent plutôt dans les milieux populaires et marginalisés. La deuxième raison en est le jeu des options qui permet de créer des classes d’élite, avec, par exemple, l’option Allemand, voire même de super élite, avec, entre autres, l’option Chinois ou Japonais. La troisième raison réside en ce que, dans ce système bureaucratique, les secteurs peuvent s’ouvrir comme des passoires, comme c’est le cas à Paris - de façon extrême mais non unique -, car les instances officielles sont localement complices du petit jeu des fausses adresses, des exceptions et dérogations. Enfin, la dernière raison est que les parents ont le choix entre l’enseignement public et privé.

Par conséquent, si nous voulons le strict respect du principe de la mixité sociale, il sera nécessaire que les équipes éducatives soient associées à la détermination des secteurs et puissent arbitrer pour obtenir le respect de ce principe au moment des inscriptions des élèves.

Sur cette question, entre autres, apparaît clairement la nécessité d’une démocratisation globale de l’institution scolaire.

Le contexte idéologique relatifs aux secteurs

Dans la polémique des tenants et détracteurs de la carte scolaire, chacun se réclame de la démocratie. Depuis Jules Ferry, l’école est obligatoire et personne ne conteste cette formidable avancée de la démocratie, les savoirs étant perçus comme l’assise de la véritable citoyenneté.

Mais, dans la tradition qui en a résulté, cette obligation est assurée par l’Etat. De ce fait, les citoyens se sont retrouvés totalement dépossédés de leur responsabilité. Ils le ressentent confusément et réagissent pour le contester ou le justifier en fonction de deux sensibilités politiques.

- Face à cela, certains encouragent à renier radicalement cette forme d’étatisme, considérant que l’enfant est comme « enlevé » aux familles par une cohorte de fonctionnaires. Dans leur esprit, l’école est une caste qui échappe à tout contrôle démocratique et se protège elle-même. Pour conforter ce point de vue, il semble légitime d’admettre que beaucoup d’enseignants, peut-être une majorité, s’exposent à cette critique. Ils continuent de croire en leur pouvoir émancipateur et véhiculent ce sentiment qu’ils contribuent à émanciper l’enfant de son milieu familial et, en cas d’absentéisme à l’école et d’échec scolaire, ils tendent en priorité à en accuser les parents. Dans un tel contexte, réintégrer les parents comme partenaire de l’éducation consisterait à leur restituer la liberté de choisir leur école.

- D’autres rétorquent que les enseignants doivent pouvoir conserver, face aux parents, la liberté de choisir leurs stratégies éducatives tant que celles-ci s’inscrivent, bien entendu, dans le souci d’épanouir les enfants et dans le cadre des programmes. A ce titre, il leur paraît normal qu’un ministère éclairé par des spécialistes puisse décider d’une certaine pédagogie et que les parents acceptent cette décision. Une fois les stratégies éducatives choisies, la hiérarchie scolaire, par son système de commandement, en garantit la diffusion égale. Et, dans cette optique, pour éviter toute échappatoire, l’obligation d’obéir à la carte scolaire assure qu’elles bénéficieront à la quasi totalité des enfants.

Autrement dit, si l’on s’obstine à tenir compte de ces deux points de vue, la liberté des parents de choisir leur école serait un pouvoir de critique vis-à-vis des méthodes d’enseignement et la liberté, pour les enseignants, d’élaborer des pédagogies ne pourrait s’affirmer qu’au prix d’une contrainte exercée à l’encontre des parents par l’entremise de l’Etat – à travers la hiérarchie éducative - et de la carte scolaire.

Le problème n’est donc plus seulement celui de la discrimination sociale par la carte scolaire, mais l’obligation d’accepter telle ou telle pédagogie. Si, dans un même secteur, des parents pouvaient choisir entre établissements selon leurs pédagogies, il est certain que les choix ne s’effectueraient plus seulement en fonction de critères sociaux.

Sortir de ce contexte idéologique

Il me semble qu’une énième critique du caractère oppressant du système scolaire étatisé actuel ne sert strictement à rien, si ce n’est à effrayer les parents qui, quoiqu’on en dise, attendent précisément de l’Etat la prise en charge de l’éducation parce que cette question leur paraît généralement trop complexe. D’autre part, il me paraît qu’une conception entièrement libertaire de l’éducation les effraiera encore davantage ce, à juste titre, car l’éducation aux savoirs, qu’ils le pressentent ou non, repose sur une certain nombre de principes pédagogiques dont la réalisation exige, dans le cadre scolaire, un dispositif adéquat.

L’incapacité à trouver une nouvelle voie me semble propre à cette ambiance, si typiquement française, où les esprits passent d’un extrême à l’autre ou s’en tiennent, de façon la plus consternante, à des généralités. C’est une façon d’entretenir l’immobilisme.

En perspective, la proposition d’ouvrir davantage la carte scolaire au nom de la liberté de choix des parents en matière d’offres pédagogiques relève de la même tendance.

Si, au nom du respect de la mixité sociale, il est nécessaire d’associer les équipes éducatives à la détermination des secteurs, cette nécessité s’impose encore plus dans le domaine de la pédagogie. Rappelons ces statistiques : en Europe, la France dépense le plus par élève au niveau du collège et du lycée et elle dispense le plus d’heures de cours (7500 contre 6000) ; mais c’est en France que le taux de redoublement est le plus élevé, le taux d’échec le plus important, l’entrée à l’université la plus désastreuse et que ses élèves arrivent presque toujours avant derniers dans les tests d’évaluation au niveau européen. En d’autres termes, s’il existe une carence au niveau de la carte scolaire, il y a surtout une faille immense dans le domaine de la pédagogie. La pédagogie d’Etat a, par conséquent, magistralement échoué.

Face à ce grave problème, répétons-le, les parents attendent précisément de l’Etat la prise en charge de l’éducation parce que cette question leur paraît généralement trop complexe. Ce serait démagogique de prétendre le contraire. La difficulté vient de ce que cette pédagogie est précisément élaborée, non par un Etat qui serait cette entité abstraite assimilée à la collectivité mais par une hiérarchie dont le mode de fonctionnement a toujours été bureaucratique, depuis l’origine politique de l’école actuelle.

2) Problème des établissements innovants

Quand un établissement innovant est créé, il est forcément installé au sein d’une carte scolaire où les secteurs sont déjà délimités. Puisque tel est le cas, nous sommes obligés de devenir résolument pragmatiques.

L’idéal serait d’obtenir la création d’un secteur spécifique à l’école, déterminé par la nouvelle équipe éducative et où, géographiquement, la mixité sociale serait précisément représentative de toute la population, chaque établissement devenant ainsi un échantillon de la France.

Mais, nous nous heurtons à ces deux réalités : tant que l’innovation fait peur, quel que soit le secteur attribué, des parents déclencheront les hostilités contre le nouvel établissement et s’obstineront à lui refuser l’inscription de leurs enfants. Comme vous connaissez tous l’extraordinaire esprit d’invention et le courage considérable des instances officielles, il est inutile de vous préciser qu’elles leur donneront raison. Nous sommes donc contraints, afin d’esquiver toute bataille ruineuse à l’esprit de coopération, de préférer la possibilité d’une adhésion volontaire des parents au projet innovant. Tant que l’innovation fait peur, le secteur – même s’il est un échantillon idéal de la population - est donc d’emblée brisé : il y aura des parents qui y inscriront, d’autres qui n’y inscriront pas leurs enfants et les placeront ailleurs, par exemple dans le privé.

Se pose alors, pour la nouvelle école, un problème de recrutement. Et, simultanément, des parents d’autres secteurs, motivés par l’innovation, aimeraient y inscrire leurs enfants. Il serait donc étrange, de notre part, de fonctionner avec une école à moitié vide tandis que, au dehors, des parents attendent depuis des lustres un nouveau modèle éducatif. D’où l’intérêt d’ouvrir les inscriptions hors secteur mais, évidemment, sans jamais perdre notre âme, c’est-à-dire, alors plus que jamais, en respectant la mixité sociale. Mais, pour des raisons pratiques, cette ouverture doit rester obligatoirement circonscrite aux secteurs proches.

Quand l’innovation sera instituée, devenant ainsi la norme, le système des secteurs pourra bien entendu redevenir le principe premier mais à condition que son découpage et son usage soient le résultat d’une concertation et d’une régulation démocratique.

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