define('WP_CRON_LOCK_TIMEOUT', 300); Arguments pour Sara-Claire | Ecole expérimentale

Ecrit le 26 Janvier 2009 par admin

Arguments pour Sara-Claire

1. Lettre de Sara-Claire Louédec

Jean-Pierre,

J’ai enfin pris le temps de réfléchir sérieusement à ta proposition de participer à la mise en place d’un collège innovant, ou d’une section innovante dans un lycée. Pour ce faire, j’ai relu attentivement le dernier dossier que tu m’avais envoyé, à savoir celui intitulé « Propositions pour un collège innovant ».

Je reste sur une impression mitigée pour plusieurs raisons, que je vais ici mettre par écrit, pour que ce soit plus clair pour toi comme pour moi.

1°) Je n’arrive pas à savoir si le principe d’une école innovante en soit me paraît une bonne chose. En effet, je préférerais réfléchir à des pratiques pédagogiques « différentes » (et dans ce sens, « innovantes »), à mettre en place dans le cadre traditionnel de l’école que propose le gouvernement aux enfants scolarisés en France.

J’ai peu envie d’un « isolement » que produirait obligatoirement l’appartenance à un établissement innovant, quel qu’il soit. Ce sentiment qu’en essayant  de faire différemment, dans un cadre privilégié (à savoir un établissement scolaire, ou une section entière), on s’enferme dans un « on est les meilleurs » qui s’installera obligatoirement si ce n’est chez chacun participants en projet, du moins chez un certain nombre d’entre eux (adultes comme jeunes).

2°) Je suis moi-même depuis très peu de temps dans la profession (4ans, dont 2 années « bancales » : une année de vacations très courtes, et une année de formation IUFM), et je suis loin d’être « installée » dans ce métier. Je veux dire par là que chaque année, j’ai de nouvelles idées, et qu’au cours de l’année, j’essaie de mettre en place des pratiques différentes, qui rendent les élèves acteurs de leurs apprentissages de façon diverse et variée. Mais il me faut encore me familiariser avec « l’élève », ses envies, ses frustrations et ses revendications. L’élève de lycée professionnel est sans doute d’un genre différent de celui du lycée général, même s’il reste un jeune obligé de fonctionner dans un système scolaire qu’il n’a pas forcément choisi.

Il me faut aussi construire mes cours et ma pratique. Je suis encore trop souvent dans l’urgence du lendemain, sans développer une vision globale de l’année et de ce je pourrais proposer à mes élèves.

3°) Ce que je souhaite, pour l’instant, c’est de pouvoir m’installer dans un LP pour quelques années au moins, afin de mettre en place tout un environnement « innovant » que je puisse développer sur plusieurs années. Une approche ludique et théâtrale tant de l’anglais que du français, une conscientisation citoyenne à l’aide d’exposés et d’expositions, de recherches et de rencontres, mais aussi une façon plus traditionnelle de « faire cours » qui allie détente et sérieux, élève à l’écoute du professeur, puis à l’écoute de lui-même et des autres.

Tout ceci relève encore beaucoup des belles paroles pour moi, même si certains collègues et élèves trouvent que je ne travaille vraiment pas comme tout le monde… Je n’en suis pas persuadée moi-même.

4°) Je découvre depuis l’an dernier le LP, et je m’y sens très à l’aise. Je crois avoir trouvé, tant dans le côté particulier d’être habilitée à enseigner l’anglais ET le français, que dans l’ambiance « ancrée dans le réel » d’un LP, une atmosphère que j’apprécie de plus en plus.

Ceci me conduit à penser que j’aimerais peu – pour l’instant – enseigner en collège ou en lycée général ou technologique. Là encore, je ne fais que commencer ma carrière, et j’ose espérer qu’elle sera riche en enseignements et en expériences dans l’univers du LP.

5°) Maintenant, si je regarde de près les propositions du collège innovant, je reste sur un doute – ou sur plusieurs doutes.

- Certes innovant, ce collège sur le long terme propose une façon de fonctionner tout aussi répétitive (et du coup perçue comme rébarbatives par certains) qu’un système traditionnel. Groupes de recherche ou groupes d’études, ateliers, puis on prend les mêmes et on recommence. Je ne critique pas ici la réflexion pédagogique évidente d’un tel projet, et je suis tout aussi persuadée que toi du bienfait de la recherche individuelle et du partage de connaissances. Je me dis simplement que les élèves que je fréquente, qui sont souvent en échec scolaire, et peu enclins à trouver du plaisir dans l’effort intellectuel auraient peut-être le sentiment d’innover au début, mais se lasseraient bien vite d’un système qui deviendrait, je pense, très lourd pour eux à gérer. L’exception deviendrait la règle, et du coup l’excitation et la motivation première pourrait s’enfermer dans une « routine » plus ou moins bien huilée.

- Je suis convaincue que « le cours » tel qu’on l’entend dans le système traditionnel n’a pas que des défauts, et que le groupe classe peut-être motivant sur plusieurs aspects. Or, dans la proposition que tu m’as soumise, je ne vois que des travaux d’entretien et de recherche individuelle, et des groupes d’étude. Les ateliers de l’après-midi étant un peu « exceptionnels », sachant qu’ils relèvent plus du plaisir de pratiquer ce que l’on sait  tout en en apprenant un peu plus, que de la phase d’apprentissage et de découverte de nouvelles notions.

Ainsi, la notion de cours disparaît complètement, au profit de la recherche personnelle. Mais comment édifier un bâtiment par la recherche, lorsque les fondations ne sont pas – ou peu – solides ? Si je prends pour exemple l’anglais, comment commencer ? Où est l’émulation collective de s’exprimer dans une langue que personne ne comprend bien, ce qui provoque fous rires et intérêt ? Comment travailler son oreille, son accent ? Bref… Les questions sont nombreuses : je ne vais pas tout détailler ici.

Pour ce qui est du français, qui va amener l’élève à comprendre les degrés d’argumentation, la subtilité de la langue, la richesse d’une œuvre ? La recherche personnelle peut mener à découvrir quelques notions, mais ce n’est pas dans les livres ou sur n’importe quel document « mort » que l’on va trouver la passion, la vibration de la voix, la captation d’une audience…

6°) A la lecture de ton document, et à la réflexion, je me dis qu’il y a tout plein d’idées intéressantes et motivantes – c’est ce qui fait que ce projet ne me laisse pas indifférente -, mais que je préférerais un système moins « innovant ». S’il fallait construire une nouvelle école, je partirais plus du principe suivant :

- Les 4 premières heures de la matinée, plus la première heure et demie de l’après-midi, cours « traditionnel », par classes de niveau (tous âges confondus, mais à niveau égal : débutant, consolidé, confirmé) ; classes de 12 à 16 élèves maximum ( je préfère en effet les chiffres pairs, pour tout ce qui est jeux, équipes, groupes…)

- Chaque après-midi, deux heures d’ateliers par pôles (cf. ta proposition). On changerait de pôle par trimestre.

Les cours, si je les appelle « traditionnels », n’en seraient pas moins basés sur des méthodes pédagogiques innovantes – largement inspirées des propositions que tu fais, et des pédagogies Freinet, Montessori, ou encore Diwan, ou que sais-je ? Je n’ai pas tout exploré, loin de là…

Les ateliers (4 différents dans la semaine) auraient pour but de sortir de la classe et du groupe de niveau, pour mélanger les élèves et les professeurs, et proposer une vision plus globale des apprentissages – et surtout de leur mise en pratique.

Les groupes de niveau ne seraient pas immuables, mais seraient assez stricts tout de même pour pouvoir avancer à un même rythme sur une période donnée. Le but étant d’amener les plus faibles au niveau au moins de l’examen (n’oublions pas que je travaille dans un système où les examens sont tous les deux ou trois ans), et les plus à l’aise à un niveau bien supérieur, qui leur permettrait de mettre leurs acquis en valeur, de développer leurs talents, et de ne pas avoir l’impression de s’ennuyer à faire des choses trop simples.

7°) Bien sûr, ces innovations ne devraient pas toucher que l’enseignement à proprement parler, mais devraient aussi exister pour tout ce qui est de l’ordre de la gestion de la vie scolaire hors temps de classe. Là, les idées sont nombreuses. Reste à ne pas faire dans le démagogique, qui voudrait que par démocratie on en oublie que l’école est obligatoire, que la vie en société implique une certaine discipline que l’on ne peut traiter par-dessus la jambe.

8°) A la lecture de ce texte, tu auras compris pourquoi je ne souhaite pas vraiment faire partie de l’équipe qui lance le projet d’une école innovante. Je souhaite mieux connaître le système dans lequel j’évolue actuellement, et j’ose espérer pouvoir, avec les années d’expérience, mettre en place une véritable méthode de travail qui allie des pratiques innovantes dans un cadre traditionnel.

Je reste bien sûre ouverte à la discussion et au partage d’expérience, et je ne ferme pas la porte complètement. Ce qui me manque en effet, ce sont des collègues qui accepteraient de partager concrètement sur ce qu’ils proposent à leurs élèves, et sur leurs méthodes de travail.

Sara-Claire Louédec, décembre 2001

2. Réponse à Sara-Claire

Si je travaille sur ce projet de collège innovant, c’est parce que je pense qu’une personne isolée, au sein d’un établissement scolaire traditionnel,  se donne peu de chances de réussir dans des actions innovantes.  Le nombre d’élèves par classe me paraît en particulier un adversaire quasi invincible.  L’immobilisme d’un tel établissement, les valeurs traditionnelles qu’il défend, imprègnent les esprits, y sont difficiles à combattre.

L’existence de collèges innovants m’apparaît importante, non pas seulement pour le plaisir d’y enseigner (ce qui n’est cependant pas négligeable) mais comme un pas vers une meilleure Education Nationale, puisque ces collèges serviront de modèle aux futurs établissements.

Je pense qu’une grande qualité est celle de l’humilité et j’espère que les futurs enseignants de notre collège innovant en feront tous preuve : ouvrir de nouvelles voies nécessite de l’humilité.  Si les enseignants de ce collège s’abstiennent de croire pas qu’ils sont supérieurs, nous sommes en droit d’espérer qu’ils passeront cette simplicité à leurs élèves.

Tu parles d’approche ludique et théâtrale, de « conscientisation citoyenne » à l’aide d’exposés et d’expositions, de recherches et de rencontres, toutes choses que tu pourrais particulièrement développer dans l’enceinte d’un collège innovant.  L’importante concertation entre enseignants te permettrait sûrement de travailler plus facilement sur ta vision globale de l’année.

Tu dis que les séances de recherche individuelle et de groupes d’étude fonctionneraient de manière répétitive.  C’est peut-être vrai en ce qui concerne les horaires, encore que l’élève sera libre de choisir les séances auxquelles il veut assister.  Il me semble que le contenu de ces séances, étant créé, imaginé par l’élève, échappera de ce fait à la répétition, si ce n’est celle qu’il développera lui-même, répétition qui pourra être alors déviée par l’enseignant.

Il est probable que nos élèves, habitués à l’ingestion de cours, trouveront l’effort intellectuel difficile. Mais, sachant tous les bénéfices qu’il leur apportera, il m’apparaît important de leur proposer ce travail ce, bien sûr, de manière ludique.

Je crois que le système traditionnel des cours uniformise le passage des connaissances et correspond à un manque de moyens en enseignants, notre société ne pouvant offrir un enseignant par élève.  La recherche autonome, guidée par un enseignant pour un petit nombre d’élèves, m’apparaît comme un moyen intéressant de développer la personnalité de chacun.

La recherche autonome de l’élève conduira certainement, à mon avis, à des échanges interdisciplinaires extrêmement intéressants, y compris pour les enseignants.

Les groupes d’étude m’apparaissent comme l’endroit privilégié où mettre en œuvre des actions concernant traditionnellement le groupe classe.

Le travail de concertation, avec des collègues ayant des motivations communes, tiendra une place très importante et cela m’apparaît comme un facteur appréciable à prendre en considération.

Pour finir, last but not least, la méthode de travail basée sur un projet personnel de l’élève engendrera un véritable dialogue entre enseignant et élève, une communication riche d’apports pour les deux, un principe de vases communicants entre les différentes matières, un développement mutuel des savoirs.

L’existence d’un collège innovant permettra d’explorer les limites de l’innovation, de proposer à l’Education Nationale des idées réparatrices à ses maux, d’œuvrer vers une éducation plus saine à mon sens.

Voilà, en quelques phrases, pourquoi je te propose ce projet de collège innovant.

Jean-Pierre Labrousse

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